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L’invité de la Rédaction : émission du 6 avril 2011

(Handicap, dépendance, solidarité : l’actualité et les enjeux)

Entretien avec Vincent Lochmann

Retranscription

Vincent Lochmann : On est avec Claire Merlin, ce matin, et on va parler de son témoignage. Bonjour, Claire.

 

Claire Merlin : Bonjour Vincent, bonjour à toutes et à tous.

 

Vincent Lochmann : Votre livre s’appelle « Sourde en centres d’appels », le titre dit tout, vous êtes euh malentendante, et vous avez été placée par l’entreprise qui vous employait dans un centre d’appels et c’est cette histoire-là que vous racontez, le militantisme qui va avec, dans ce livre, c’est un livre paru chez L’Harmattan. On, on a du mal à croire qu’une entreprise puisse ainsi placer quelqu’un qui a un handicap auditif, précisément, dans un centre d’appels. Comment c’est possible, ça ?

 

Claire Merlin : Alors, comment c’est possible ? euh (petit rire) bon, c’est une chaîne, euh, une chaîne, euh, qui s’est mise en place, euh, de la médecine du travail à la DRH, euh, peut-être euh la méconnaissance, parce que finalement euh je pense que la déficience auditive est assez mal connue, hein, c’est-à-dire que bon y’a ceux qui n’entendent rien, ceux qui entendent mal, et nous les malentendants, nous sommes dans un entre-deux, voilà, entre euh, le silence, le bruit, et voilà, après, y’a les objectifs de rentabilité et de productivité de l’entreprise, euh, face à l’humain, euh, bon, dans cette entreprise, hein, euh, clairement, euh, vous avez un mouvement de balancier et ça s’est pas franchement fait en ma faveur.

 

Vincent Lochmann : Votre handicap ne se voit pas.

 

Claire Merlin : Alors ça, c’est la deuxième difficulté de ce handicap, effectivement, d’autant que moi je suis malentendante depuis quelques années seulement, entre-guillemets, donc euh évidemment j’ai une façon de m’exprimer euh complètement linéaire, et dans l’inconscient collectif, souvent quelqu’un qui n’entend pas ne parle pas forcément bien, on dit souvent « mais ça se voit pas », parfois d’ailleurs on a envie de voir si j’ai vraiment des appareils, si c’est vraiment pour de vrai euh y’a toujours un questionnement de mes interlocuteurs.

 

Vincent Lochmann : Et le fait que vous parliez bien, ça laisse penser que vous entendez bien.

 

Claire Merlin : Tout-à-fait.

 

Vincent Lochmann : Alors, ça commence par une visite médicale, euh, en 2002, euh, vous vous retrouvez dans la petite boîte, euh en bois euh, je sais pas comment elle est, euh la cabine d’isolement, où là vous prenez conscience vraiment, c’est la visite du travail, c’est dans l’entreprise que ça se passe.

 

Claire Merlin : Voilà, c’est ça, tout-à-fait, c’est-à-dire qu’avant d’entrer dans cette cabine, euh, j’ai un pressentiment, parce que euh, voilà, euh, euh, y ‘a une histoire familiale derrière, hein, mon père euh est malentendant, mon grand-père l’était, donc euh, j’ai un doute, j’ai un doute, et je me suis dit « là on va savoir ». Et effectivement, effectivement, c’est assez catastrophique, je suis à peu près à moins 30 décibels, euh, et l’infirmière est complètement stressée, elle me dit : « c’est pas normal, c’est pas normal, on va vite vite refaire l’audiogramme ». Alors du coup on le refait, je triche, euh il est un peu meilleur, je triche, je sais pas peut-être pour moi, pour elle, enfin, et et je sors de là et bon évidemment c’est une gifle en pleine figure complètement.

 

Vincent Lochmann : Et là qu’est-ce qui se passe ? Dans quel état vous êtes à ce moment-là ?

 

Claire Merlin : Un peu résignée, euh, très triste, euh, très triste, parce que voilà, j’ai quarante ans, je suis au milieu de ma vie, euh, je sais que je suis dans une entreprise qui est dure, et je me dis « comment je vais pouvoir gérer ça ? ».

 

Vincent Lochmann : A ce moment-là vous êtes en centre d’appels à ce moment-là déjà ?

 

Claire Merlin : Non, à l’époque, j’étais assistante, en fait, puisque c’est au printemps 2002 et en fait à l’automne euh, je me retrouve en centre d’appels en fait en mars 2003, juste après l’arrivée de Thierry Breton, puisqu’il faut bien le dire, l’entreprise c’est France Télécom, euh, d’ailleurs je ne cache pas ça du tout euh, dans mon livre, et et donc à ce moment-là, euh y’a des postes de techniciens, d’assistantes, qui sont supprimés, donc mon poste est touché, je me retrouve euh en quête de poste, encore une fois d’ailleurs, puisque ça s’est souvent produit dans cette entreprise, et donc euh je euh je candidate pour un poste de conseiller clientèle. C’est-à-dire qu’à l’époque je suis en plein déni. C’est-à-dire que bon, entre le moment où on vous dit que vous êtes malentendante et le moment où vous l’intégrez, euh vraiment euh au niveau de la pensée, mentalement, euh il se passe du temps.

 

Vincent Lochmann : A ce moment-là, vous vous dites euh « je vais faire un effort, ça va marcher ».

 

Claire Merlin : Oui, je vais me débrouiller, je vais contourner le système, euh je vais m’adapter, puisque je suis quelqu’un de très souple, je me suis toujours adaptée.

 

Vincent Lochmann : Vous réalisez ça comme un défi à relever, finalement.

 

Claire Merlin : Voilà, tout-à-fait.

 

Vincent Lochmann : Mais ça va être une torture, ce centre d’appels.

 

Claire Merlin : Ben ça va finalement devenir une torture euh…

 

Vincent Lochmann : Parce que non seulement vous n’entendez pas, mais en plus vous avez des acouphènes, et ça

 

Claire Merlin : En fait, ça va me produire les acouphènes.

 

Vincent Lochmann : Ca va vous faire mal !

 

Claire Merlin : Parce qu’en centre d’appels, ce qu’il faut bien dire, c’est qu’avant le centre d’appels, je n’avais pas d’acouphènes. C’est clairement ma mise en centre d’appels qui a déclenché les acouphènes. Donc, euh, voilà, euh, sans reconnaissance d’ailleurs euh de mon handicap, hein euh, donc du coup euh ça devient de plus en plus épuisant, puisque j’ai une oreille qui se met à siffler, puisque euh il faut que je force mon attention euh à entendre les clients, euh et là y’a un moment où finalement j’me dis « bon tu vas pas pouvoir continuer comme ça » et je décide euh de quitter le centre d’appels.

 

Vincent Lochmann : Et à ce moment-là, dans votre tête, il y a une image personnelle aussi…

 

Claire Merlin : A ce moment-là…

 

Vincent Lochmann : Vous avez accepté.

 

Claire Merlin : J’ai intégré…

 

Vincent Lochmann : Qu’il y avait un handicap.

 

Claire Merlin : Voilà, j’ai intégré dans dans mon esprit, euh, c’qui y’a dans mon corps, bon y’a une perte quelque part, mais c’est pas grave, et et là c’est là que l’enfer commence pour moi, quoi. Puisqu’en fait je suis mutée sur un second centre d’appels.

 

Vincent Lochmann : On est avec Claire Merlin ce matin. On verra comment vous vous êtes reconstruite, comment aujourd’hui vous arrivez à bien vous voir, déjà, puis à publier ce livre et comment est-ce que de cette colère-là finalement, vous avez fait un premier livre et puis un deuxième, vous avez passé des diplômes, vous avez avancé dans la vie, on verra un p’tit peu aussi comment l’entreprise s’est comportée vis-à-vis de vous, c’est étonnant, vous avez rencontré deux DRH, y’a deux façons très différentes dans cette grande entreprise, de percevoir la question du handicap. C’est l’invitée de la rédaction.

 

Pause musicale

 

Vincent Lochmann : Claire Merlin. « Sourde en centres d’appels », c’est le titre de votre ouvrage, vous étiez en 2002 reconnue avec une déficience auditive, et votre entreprise, France Télécom, pour ne pas la nommer, a continué de vous  nommer en place dans des centres d’appels, et alors vous racontez la vie dans ces centres d’accueil, vous racontez le rôle des superviseurs, vous racontez comment, quand on arrive le matin, euh, on démarre son ordinateur et ça veut dire que vous êtes là, et à partir de là y’a une espèce de pointeuse avec ce système-là.

 

Claire Merlin : Voilà. On se logue, en fait, on se logue, on se connecte, non seulement son ordinateur, mais aussi sur le groupement d’appels, puisqu’on a tous un numéro, euh, dans le téléphone, et donc, on est tout de suite identifié par le superviseur, en réception d’appels.

 

Vincent Lochmann : Et donc, euh, à partir de là, il faut faire du chiffre, il faut recevoir un maximum d’appels.

 

Claire Merlin : Oui, oui, tout-à-fait, tout-à-fait. Donc, euh sur le deuxième centre d’appels, puisque ce que j’expliquais tout-à-l’heure, c’est effectivement au moment où moi je euh prends conscience de mon handicap et donc où je décide de l’assumer, euh, de l’intégrer au niveau identitaire, euh l’entreprise m’empêche euh ce mouvement euh de continuer ce mouvement-là, en me plaçant sur un second centre d’appels, puisque euh nous avons des objectifs prioritaires euh euh dans le bassin commercial d’Ile-de-France et et donc je me retrouve donc euh sur un site euh encore plus distant euh avec effectivement euh des des contraintes euh de de placement. Mais le plus dur pour moi, c’est surtout d’être en centre d’appels, c’est-à-dire euh ce qu’il faut bien comprendre, quand on est malentendant, euh, c’est la difficulté euh d’écouter dans le bruit. Euh, les appareils ont beau être les plus sophistiqués possible et évoluer très rapidement, euh y’a cette difficulté, il faut comprendre que l’appareil ne va pas rendre l’audition euh normale, comme avant, euh et que on sera toujours malentendant. Quand on parle à un malentendant dans le dos, il n’entend pas, enfin y’a plein de situations comme ça. Et donc y’a un épuisement qui se crée, euh, voilà, donc, ce qui amène souvent des acouphènes du reste.

 

Vincent Lochmann : Alors y’a quelque chose qui va vous mettre en colère, c’est toute cette communication qu’on fait dans l’entreprise autour des questions de handicap. Vous racontez, un beau jour, dans ce deuxième centre d’appels où vous travaillez, malgré votre handicap auditif, il y a quelqu’un qui vient mettre une affiche, juste à côté de vous, une affiche de publicité où on dit « aujourd’hui tout le monde devrait pouvoir communiquer comme il l’entend ».

 

Claire Merlin : Voilà (rire).

 

Vincent Lochmann : Et puis « lorsque le progrès – c’est le texte hein – lorsque le progrès n’oublie personne en chemin, il est encore plus utile pour vous. Le futur et toutes les raisons d’y croire ».

 

Claire Merlin : Ca, ça a été terrible, ça a été le point culminant, euh, l’exacerbation de ma colère et de ma rage, complètement. C’est-à-dire que le pire dans cette histoire, c’est que c’était même pas mon manager, euh, c’était un manager d’une autre équipe, qui a certainement voulu faire une bonne action, euh…

 

Vincent Lochmann : Vous lui en voulez ?

 

Claire Merlin : Non, même pas, enfin à l’époque oui, bien évidemment, mais après je me suis dit « c’était vraiment de la méconnaissance », il était dans l’incapacité de comprendre ce que je vivais. Mon handicap n’a pas été pris au sérieux, et puis comme vous le disiez tout-à-l’heure, il ne se voit pas. Donc, à ce moment-là, je  me suis dit : « OK, euh, il va falloir faire quelque chose. Tu n’es pas écoutée, tu as un Bac + 2, ben tu vas reprendre les études ». Donc je suis allée au Salon de la Formation Porte de Versailles et j’ai découvert le Diplôme Hautes Etudes Pratiques Sociales, le DHEPS, qui maintenant s’appelle le DEPRA. Et le principe, c’est la recherche- action, donc en fait, c’est euh  travailler sur son terrain, tout en s’en distanciant. Euh, donc voilà. En prenant de la distance, euh dans la réflexion, euh, intellectuelle, universitaire, en partageant ce que je vivais avec d’autres adultes en formation, euh ben j’ai commencé à remonter la pente.

 

Vincent Lochmann : On va en dire un p’tit mot, tout-à-l’heure, de cette méthode, de cette façon que vous avez finalement adoptée, pour remonter la pente. Un mot sur ces DRH, puisqu’il est question de ces managers, il est question de ces superviseurs, ce sont des gens qui sont vraiment juste au-dessus de vous. Euh, y’a aussi des rencontres avec des DRH, qui sont donc censés dans une entreprise veiller aux ressources humaines, c’est-à-dire aux relations entre les hommes. Alors, y’en a un avec qui ça se passe on va dire très mal,

 

Claire Merlin : Très mal,

 

Vincent Lochmann : Et l’autre avec qui ça se passe très bien.

 

Claire Merlin : Voilà.

 

Vincent Lochmann : Comment vous pourriez expliquer ça ?

 

Claire Merlin : Ben je pense que c’est lié à leur histoire de vie et à ce qu’ils en ont fait. Y’a une phrase dans mon livre, euh, que je répète régulièrement, parce qu’elle m’a vraiment menée, et elle continue à me mener, c’est une phrase de Jean-Paul Sartre qui dit « l’important n’est pas ce que l’on fait de vous, l’important c’est ce que vous, vous allez faire de ce qu’on a fait de vous ». Voilà, donc moi en gros, on m’a mise en centre d’appels, mais l’important, c’est ce que je vais en faire. Et donc, bon, ce que j’ai appris, par la suite, concernant ce manager, en fait, qui euh, dont j’estime qu’il avait un comportement euh de harceleur, hein, euh, le DRH donc en question, euh, j’ai appris qu’il avait un frère en situation de handicap. Mais bien des années après. Et je me suis drôlement questionnée et je me suis dit « bon, euh, il a du certainement souffrir de cette situation, euh, pour me rejeter à ce point-là, pour pas m’écouter à ce point-là ». Donc je n’ai pas du tout d’inimitié contre lui, euh j’ai même de la compréhension, mais une fois encore, je le dis maintenant, des années plus tard. Sur le moment, ça a été terrible, parce que c’était pas du tout mon partenaire, c’était plutôt quelqu’un contre lequel je me suis battue, et euh une fois que je me suis sortie de ce deuxième centre d’appels, que j’ai repris les études, que finalement j’ai rebasculé sur mon ancien métier, qui était le métier d’assistante, euh et ensuite quand j’ai accédé à la fonction RH, puisque je suis psychosociologue, euh j’ai rencontré euh une RH, euh, qui, euh, enfin c’était une rencontre extraordinaire, parce que euh on s’est retrouvées dans son bureau…

 

Vincent Lochmann : Elle aussi avait un membre de sa famille en situation de handicap.

 

Claire Merlin : Oui voilà, une sœur, en situation de handicap, et là, euh, d’ailleurs, avec son autorisation, j’ai fait paraître le poème que j’avais écrit pour cette femme, euh, parce qu’elle avait tout compris sur le handicap, c’est-à-dire, ben c’est l’humain, c’est la difficulté, c’est c’est la faiblesse qu’on peut transformer en force, c’est c’est la richesse, c’est le partage.

 

Vincent Lochmann : Mais c’est quoi la différence entre ces deux personnes-là, c’est d’être tombée au bon moment ?

 

Claire Merlin : Je pense que c’est lié à leur histoire de vie.

 

Vincent Lochmann : Mais ils avaient à peu près la même histoire de vie.

 

Claire Merlin : Oui mais a priori, enfin son père est quelqu’un de très militant, et euh voilà, pour eux, le handicap de la fille, de la sœur, c’était une richesse.

 

Vincent Lochmann : Est-ce qu’il n’y a pas une question d’empathie ? C’est-à-dire finalement, l’un des deux, en l’occurrence l’une des deux, a manifesté l’empathie.

 

Claire Merlin : Oui.

 

Vincent Lochmann : C’est ce que vous attendiez finalement.

 

Claire Merlin : Voilà. Mais c’était vraiment lié à ce que lui ou elle avaient pu faire de leur propre histoire. Donc c’est pour ça que je suis devenue psychosociologue, parce que je m’intéresse beaucoup aux histoires de vies. Euh, je pense qu’il faut former les RH, les managers, toutes les personnes qui sont en contact avec les personnes handicapées, à euh leurs propres représentations. On ne travaille pas là-dessus, dans les formations handicap on ne travaille pas là-dessus. Et moi, c’est ce que je propose de faire, je suis actuellement en recherche très active d’emploi, à France Télécom ou ailleurs. Et je voudrais accompagner, comme je l’ai déjà fait, les personnes handicapées, mais aussi former les équipes, avec cette posture nouvelle que j’apporte.

 

Vincent Lochmann : Alors justement, essayons d’en dire un mot. Qu’est-ce qui fait que à partir d’un certain moment, dans votre livre, y’a un moment où, quel que soit l’environnement et les personnalités avec lesquelles on travaille, on peut subir, puisque vous êtes vraiment dans la situation de quelqu’un qui subit, ce qui pourrait être, il faut dire le mot, du harcèlement, euh, à partir de ce moment-là, euh qu’est-ce qui fait que on arrive quand même à, j’allais dire à vivre, finalement c’est ça. C’est la mise à distance ?

 

Claire Merlin : Euh la mise à distance, effectivement, la mise à distance, euh, la famille, le socle familial…

 

Vincent Lochmann : La mise à distance, ça veut dire quoi ? A un moment, vous rentrez le soir, vous vous dites « je m’en fiche, tant pis » ?

 

Claire Merlin : Non, c’est pas ça. C’est qu’il faut mettre le débat à un autre niveau, il faut sortir de la souffrance, il faut sortir de l’affect.

 

Vincent Lochmann : Mais comment on fait pour sortir de la souffrance ?

 

Claire Merlin : Euh, parce que la souffrance empêche de réfléchir, la souffrance…

 

Vincent Lochmann : Mais comment ?

 

Claire Merlin : La volonté. Bon, c’est vrai que je suis très volontaire, je suis très déterminée. Par la volonté de m’en sortir, la volonté de vivre ma vie et de ne pas la subir, voilà !

 

Vincent Lochmann : La colère ?

 

Claire Merlin : La colère, euh, la rage, euh l’idée que personne n’a le droit de décider pour moi. Et puis bon je pense qu’intellectuellement j’avais des capacités, euh moi j’suis quelqu’un d’assez humble, souvent on me disait « Claire, mais tu t’rends pas compte ! » euh, et voilà, c’est donc c’est aussi une confiance en soi, peut-être, une foi en soi, une foi en l’autre, une foi euh…

 

Vincent Lochmann : Mais qu’est-ce qui fait que, euh on voit bien dans votre livre que parfois vous n’avez plus cette confiance en vous. Qu’est-ce qui fait qu’elle revient ? C’est les rencontres, c’est la famille, c’est ?

 

Claire Merlin : Euh, mon histoire, mon histoire de vie. Moi, je suis fille de parents handicapés. C’est ce que j’ai compris en écrivant mon mémoire, euh, parce que finalement j’avais pas vraiment conscientisé ça tant que ça, quoi. C’était tellement intégré dans ma vie, hein, mon père est malentendant, ma mère a toujours eu des problèmes d’arthrose, et ce sont des gens qui ont vécu comme tout le monde, qui ont une fierté, qui ont une dignité, et d’ailleurs j’en parle à la fin de mon livre, c’est un hommage que je voulais leur rendre, puisque euh, y’a une scène qui est jouée par des artistes-clowns, et je raconte à un moment, comment je traverse euh, une rue, un grand boulevard, avec ma tante, qui marchait bien et et j’ai envie de pleurer, parce que j’ai jamais connu cette émotion-là avec ma mère, mais je me dis « ma mère, c’est quelqu’un de formidable, donc à la limite je m’en moque » et donc c’est ça qui m’a portée, c’est mon histoire.

 

Vincent Lochmann : On a l’impression aussi que, de ce jour de 2002 où vous constatez qu’officiellement, médicalement, vous êtes déficiente auditive, jusqu’à aujourd’hui, finalement, c’est une réconciliation avec votre propre histoire.

 

Claire Merlin : Voilà.

 

Vincent Lochmann : Ca pourrait être une psychanalyse, et vous l’avez fait par écrit.

 

Claire Merlin : Peut-être, voilà, je pense, effectivement, oui, oui, et puis je suis devenue moi-même, en fait, je suis devenue moi-même, en fait, c’est ça qui est formidable,

 

Vincent Lochmann : Par l’écriture ?

 

Claire Merlin : Euh, par le combat, par la lutte, par l’écriture, euh voilà, j’ai toujours envie d’écrire des histoires, euh, de travailler au service des autres, euh, euh, je suis beaucoup pour les débats d’idées, mais il faut surtout pas que ça s’arrête aux débats d’idées, il faut mettre en œuvre, concrètement, euh, des solutions, pour une meilleure insertion des personnes handicapées. Voilà, moi j’suis une femme de foi, aussi, c’est important, j’ai des croyances, euh, ça aussi, ça m’a beaucoup portée.

 

Vincent Lochmann : Quand on lit cette histoire avec ces deux DRH, y’a un homme et une femme, et on se dit « peut-être y’a une histoire de relation entre les hommes et les femmes dans cette histoire-là ? ». Peut-être que cette femme a plus d’empathie parce qu’elle est une femme ?

 

Claire Merlin : J’sais pas si c’est une question de genre. Je pense pas que c’est une question de genre. J’pense que c’est une question de lien, humain, on est en plein dans l’humain, euh, une histoire de rencontre, j’pense pas que la question du genre ait un lien, parce que euh, y’a aussi des femmes qui m’ont enfoncée, hein (rire), la DRH, la médecine du travail, qui a été absolument épouvantable, hein, dont je parle dans mon livre, voilà, enfin ça a été terrible, donc voilà je pense pas que ça soit une question de genre forcément.

 

Vincent Lochmann : C’est une histoire humaine.

 

Claire Merlin : Voilà.

 

Vincent Lochmann : C’est une histoire de combat, c’est une histoire de reconstruction, on peut peut-être utiliser ce mot-là, ça s’appelle « Sourde en centres d’appels » et c’est vous qui signez ce livre, Claire Merlin, ça vient de paraître, c’est aux Editions L’Harmattan. Merci d’être venue nous en parler ce matin, sur l’antenne de Vivre FM.

 

Claire Merlin : Merci.